Plutôt que deux livres distincts, il convient de considérer Les avions Breguet d’Henri Lacaze comme un ouvrage unique édité en deux volumes dans un esprit pratique permettant d’éviter la publication d’un « pavé » de plus de 700 pages délicat à manipuler. Par conséquent, nous publions deux comptes-rendus de lecture un peu particuliers : l’introduction et la conclusion sont communes, mais un paragraphe central est particulier à chacun.
On voit mal comment, en s’intéressant à l’aviation, on pourrait faire l’impasse sur le nom de Breguet. Issu d’une famille de techniciens, inventeurs et intellectuels, Louis Breguet (1880-1955) marqua l’histoire de l’aviation par une inventivité peu commune. Si son nom est lié à quelques appareils de renom, cet inventeur prolifique toucha sensiblement à tous les domaines du vol humain : voilures tournantes, hydravions à flotteurs ou à coque, chasseurs, bombardiers, appareils de transport, avions de raid, gros porteurs, avions embarqués, appareils à décollage et atterrissage courts, avions à hélice(s) ou à réaction voire simples planeurs, on serait tenté d’écrire que « tout y est passé »… même une « voiture-traîneau » à hélice. En foi de quoi le nom de Breguet est une aubaine pour tout amoureux des choses de l’air. On se rappellera en outre avec ce livre en deux volumes que Louis Breguet avait su s’entourer d’autres esprits féconds, comme — entre autres — René Leduc*, René Dorand, Marcel Riffard ou Michel Wibault. Cette étude dresse un inventaire détaillé aussi complet que possible de toute la production portant le nom de Breguet, depuis les tout premiers aéroplanes datant de l’époque des pionniers jusqu’aux derniers appareils issus de la société Breguet bien après le décès de son créateur.
Il fallait bien trouver un point de repère pour séparer les deux tomes. Avec une pertinence certaine, Henri Lacaze dédia le volume un à l’ère des biplans et le second tome au règne du monoplan. En raison de la fertilité du cerveau inventif de Louis Breguet, ce point de séparation n’est toutefois réel que dans les grandes lignes. Par exemple, le tome un débute avec les gyroplanes* solution technique novatrice que Breguet abandonna rapidement pour se tourner vers l’aéroplane, mais qu’il emprunta à nouveau et que l’on retrouve dans le volume deux. De la même manière, chaque tome ne se limite pas strictement aux biplans pour l’un et aux monoplans pour l’autre, puisque l’on retrouve, « saupoudrés » de façon chronologique, tous les appareils et toutes les tentatives évoqués plus haut.
Ce volume s’ouvre sur les premiers avions de combat monoplans de chez Breguet, avec bien sûr la « famille 69 » (du 690 au 700), en guise de prélude à un chapitre de près de cinquante pages traitant des hydravions. Une place de choix y est réservée au Bizerteet aux appareils de la série des 730 (Véga, Bellatrix, Sirius, Altaïr…), mais comme dans le volume précédent, quantité de projets sont présentés, à coque ou à flotteurs, du modeste monomoteur au gigantesque hexamoteur. Pour plutôt court qu’il soit, le chapitre intitulé Des avions de transport modernes est une sorte de caverne d’Ali-Baba où des « limousines » Wibault * 368 aux lignes racées côtoie des appareils plus ambitieux comme le Fulgur ou le Colmar. La période troublée de l’Occupation est l’occasion d’une partie consacrée à une époque durant laquelle Breguet construisit les appareils conçus par d’autres, amis (Latécoère, Mauboussin, Leduc, Gérin Varivol, Riout Alérion) ou sur ordre de l’occupant (Blohm & Voss, Junkers, Focke-Achgelis). Si Louis Breguet avait rapidement abandonné les voilures tournantes au tout début de sa carrière d’avionneur, il y revint dans les années trente avec des projets, modestes pour certains (Laboratoire, Gyrauto), monumentaux pour d’autres, comme le gyroplane transatlantique. Un chapitre dédié aux appareils de transport met en valeur le Breguet Deux-Ponts, suivi par un autre sur les planeurs, commençant étonnamment par des hydravions-planeurs, puis par un autre, plus « cossu », dédié à l’aviation maritime (Alizé, Atlantic et consorts). Quelques projets et réalisations annexes sont ensuite présentés : bombe planante, missile, Breguet 1080 à aile propulsive, Naviplane… avant qu’un autre morceau de choix nous soit proposé sous la forme des ADAC * à « aile intégrale » Breguet 940 et 941. Les ADAC * appelant les ADAV *, dix pages sont consacrées à ces derniers. L’ouvrage se termine sur les avions de combat, qu’ils aient émané strictement de la planche à dessin de chez Breguet, comme le Taon, ou qu’ils soient le fruit de la collaboration de la société Breguet avec d’autres (Jaguar, Alpha Jet). On voit mal comment il serait envisageable de faire plus fouillé ou plus complet, d’autant plus que chaque « famille » d’appareils est détaillée en avant-projets, projets et variantes.
À la consultation de l’ouvrage, il sera aisé de prendre la mesure de l’ampleur du travail de collecte d’informations et d’iconographie. Tout y est : photographies d’époque, bien évidemment, mais également plans trois-vues, schémas de détail, dessins techniques, tableaux divers, documents publicitaires, vues en écorché (signées Hubert Cance)… il ne semble pas manquer un seul bouton de guêtre à cette étude qui met remarquablement en valeur la richesse et la variété de la production Breguet.
S’il est un reproche que l’on ne pourra pas faire à Lela, c’est celui de ne pas suivre l’évolution de l’imprimerie et de la papeterie : de toute évidence, cette maison d’édition met un point d’honneur à tenir le haut du pavé dans l’impression et le façonnage des ouvrages de sa collection Histoire de l’aviation.
Philippe Ballarini
* René Leduc se fera un nom plus tard avec ses appareils à tuyère thermopropulsive (statoréacteur)
* Gyroplane : appareil à voilure tournante. Certains modèles préfiguraient l’hélicoptère
350 pages, A4, relié
1,467 kg
environ 750 photos et plans
– Collection Histoire de l’aviation N°35
– Les autres ouvrages de la collection Histoire de l’aviation