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Batailles dans le ciel de France

Mai-juin 1940
Patrick Facon

Un de mes tout premiers livres d’aviation, il y a maintenant une trentaine d’années, fut le hors-série n° 2 de la défunte revue « Le moniteur de l’aéronautique », consacré à l’armée de l’Air française de 1939 à 1945 ; les auteurs en étaient Patrice Buffotot et Patrick Facon. Je l’ai toujours, j’en ai usé les pages et c’est donc avec curiosité et impatience que j’ai entamé la lecture de cet ouvrage, n’ayant lu de Patrick Facon depuis lors que quelques articles dans des magazines, mais aucun des nombreux livres qu’il a publiés dans l’intervalle.

Le sujet est attirant : expliquer le déroulement, au niveau des états-majors, de la bataille aérienne qui s’est déroulée en mai et juin 1940, en remontant aux origines de la création du ministère de l’Air, puis de l’armée de l’Air, raconter les tractations et tergiversations entre la jeune armée et ses deux aînées, surtout l’armée de Terre, donner des éléments pour comprendre la défaite de 1940, la jeune armée de l’Air étant rapidement désignée comme responsable.

Autant le dire tout de suite, il ne s’agit pas d’un livre de vulgarisation sur la Campagne de France : sa lecture n’est pas des plus faciles. Certes, il est écrit dans un français limpide, mais il s’avère austère, et je dois reconnaître que je l’ai parfois trouvé indigeste. Peu d’aération, peu de respiration. Les 240 pages se découpent en cinq chapitres plus une introduction et un épilogue ; à l’intérieur des chapitres, quelques sous-titres épars affinent la structure, mais c’est tout.

On trouve un cahier central pour les photographies, mais le papier en est de la même qualité que celui du texte, ce qui ne rend pas service aux illustrations. Tant qu’à faire d’imprimer les photos sur le même papier, il aurait mieux valu les intégrer dans le corps du texte ; elles y auraient été plus utiles, en apportant cette aération qui manque tant. Il aurait également fallu illustrer ces officiers généraux, ces ministres, ces parlementaires, afin que le lecteur puisse mettre des visages sur des noms, et ainsi faciliter l’identification des personnages, et ainsi améliorer la lecture et la compréhension des faits. À force de lire les noms de tous ces généraux, et vu les mutations qui les déplacent d’un poste à un autre lors des périodes de crise, on finit par tous les mélanger un peu. Mieux, des encadrés avec des courtes biographies de ces hommes (ce qu’ils avaient fait avant, ce qu’ils feront après) auraient enrichi l’ensemble.

Autre regret de taille, l’absence totale de cartes ! Un bon dessin vaut mieux qu’un long discours quand on parle des Zones d’Opérations Aériennes Nord ou Est, et autres Armées aériennes. Dans la même veine, des organigrammes montrant l’évolution des forces au fil de la bataille auraient été bienvenus.

Enfin, de la part d’un docteur en histoire, j’ai trouvé regrettable l’absence totale de la mention des sources. Je me doute bien qu’une bonne partie des informations proviennent du Service Historique de la Défense, mais si un lecteur souhaite approfondir une question, Patrick Facon ne lui laisse aucune piste. De la même façon, l’anonymat des officiers qui témoignent est répétitif, voire étrange à la longue. Il semblerait que les seuls les généraux aient le droit d’être cités. Il n’y a également aucune bibliographie pour guider le lectorat vers d’autres études.

Parmi les points forts de l’ouvrage figurent bien sûr l’évocation toutes les luttes qui ont opposé armée de Terre et armée de l’Air, et ce avant même la naissance de cette dernière, la subordination des forces aériennes au commandement terrestre, les problèmes de communication (l’importance des liaisons téléphoniques au détriment de la radio), le retard industriel pour la production d’avions, les problèmes avec les équipements et la différence entre un avion sorti d’usine et un avion bon de guerre, les restructurations.

L’auteur relate parfaitement la position d’équilibriste du général Vuillemin, les erreurs du commandement de l’Air, celles du ministère de l’Air et celles du commandement terrestre, la percée allemande dans les Ardennes que l’armée de Terre souhaite enrayer à coup d’avions, les doctrines d’emploi ayant peu évolué depuis 1918. Il développe la faillite des bombardiers en vol rasant, et l’inadéquation des autres bombardiers utilisés pour y pallier.

L’auteur démonte (ou tente de le faire) certains mythes, comme celui du massacre des avions de bombardement, et recadre le débat. Il cite parfois des chiffres, mais comme indiqué avant, il ne donne aucune source. Au début du livre, il égratigne les « comptables » des victoires et des pertes, et dans son épilogue (page 238), il rend un jugement de Salomon sur la répartition des pertes de la Luftwaffe entre l’armée de l’Air (chasse, mitrailleurs des multiplaces et DCA) et la Royal Air Force.

Patrick Facon décortique également le rôle de bouc émissaire endossé par la jeune armée de l’Air alors même que se déroule la campagne de France. Sa prétendue responsabilité dans la défaite française (incapable d’empêcher les Panzer de passer à Sedan, etc..) est soigneusement analysée. Les nombreuses attaques qu’elle subit dans les semaines qui suivent et le transfert en Afrique du Nord sont également étudiés. Le choix cornélien de poursuivre la lutte avec de Gaulle et la RAF est abordé.

Globalement, j’ai beaucoup appris sur cette période grâce à ce livre. Je ne le conseille pas à ceux qui cherchent une introduction au sujet, une histoire de la campagne mise à la portée de tout un chacun ou le bruit et la fureur des combats aériens. Mais je le recommande à ceux qui disposent déjà de connaissances sur le sujet et souhaitent l’aborder avec un point de vue plus élevé dans la hiérarchie civile et militaire que celui des combattants et des missions aériennes, mais en les prévenant d’avance de l’austérité et de la difficulté de sa lecture.

Jocelyn Leclercq


240 pages, 15 x 21 cm cm
couverture souple

En bref

Pascal Galodé Éditeurs

ISBN 978-2-35593-088-1

19,90 €