En décembre 1926, le célèbre pilote et photographe suisse Walter Mittelholzer partit de Zürich avec un équipage composé de Hans Hartmann, chef mécanicien de l’Ad Astra (1) et co-pilote occasionnel, Arnold Heim, docteur en géologie, et René Gouzy, journaliste et écrivain helvétique, avec comme destination le Cap de Bonne Espérance, où il parvint en février 1927. Cet ouvrage, publié à leur retour, raconte la préparation et l’exécution du vol, 14.850 km avec 23 escales, par la Méditerranée et la descente du flanc Est de l’Afrique. Mittelholzer, Heim et Gouzy se sont relayés à son écriture, cet enchaînement est limpide et chacun des morceaux écrits par l’un ou par l’autre est bien repéré, contrairement à ce qui est souvent fait lors d’une écriture « à plusieurs mains ». C’est donc très agréable de savoir qui a écrit quoi.
Il s’agit ici d’une nouvelle édition de 2025, dans la lignée de la collection « La bibliothèque du Ciel » lancée par l’éditeur Skyshef.eu, remettant au goût du jour d’anciennes publications.
L’hydravion utilisé était un Dornier Merkur, ici traduit par « Mercure » dans le texte (2), équipé de flotteurs. La gestion du vol est bien racontée, utilisation de la puissance moteur, justification du choix des altitudes de vol, décollages réussis ou avortés, turbulence, état de l’eau pour l’amerrissage, échouage sur des bancs de sable parfois. Mais, au côté de cet aspect technique très aéronautique, ce carnet de voyage est aussi un beau recueil de description d’une multitude de paysages rencontrés, un peu comme un article de « National Geographic » ou, de nos jours, de « Géo » .
La traduction, globalement correcte, avec même parfois de charmants idiotismes suisse (3), semble tout de même de nombreuses fois hésitante avec des insertions étranges dans le texte sous la forme ((doutes du traducteur » ou (?!!) lorsque son choix est incertain. Un peu comme un document de travail. On trouve aussi de nombreuses « pétouilles » typographiques : tirets de retour à la ligne qui se retrouvent en milieu de mots, veuves et orphelins. Mais cela ne gène pas trop la lecture.
L’ouvrage commence par une importante note de l’éditeur, reproduite ici :
« … les voyages que le Suisse entreprend en Afrique reflètent un indéniable esprit colonial. A travers ses clichés et récits de voyage, Walter Mittelholzer opère systématiquement une distinction entre Noir et Blanc, sauvage et civilisé, mais aussi arriéré et avancé. Cette conception était toutefois moins un point de vue particulier que le reflet de l’opinion dominante du début du XXe siècle.[…]
En cela le lecteur pourra considérer que ce texte peut contenir certaines expressions discriminatoires envers des êtres humains. Là où c’était possible, ces mots ont été remplacés par des synonymes acceptables. Pour le reste, le respect du document historique a été la règle. »
Il est donc bon de savoir que cette publication peut légèrement différer de l’édition originale, mais on ne s’en plaindra pas si cela peut éviter quelques relents à la « Tintin au Congo » .
Sur la même page, on trouve une autre mention assez surprenante. Il est écrit, en gras :
« Toutes les photos illustrant ce livre ont été faites par Arnold Heim et ont été obtenues à la bibliothèque numérique de l’ETH de Zürich. »
Or, sans vouloir divulgâcher l’histoire, le lecteur apprend vite que Gouzy et Heim doivent être débarqués à Kisumu (au Kenya), environ au milieu de la longue descente de l’Afrique de l’Est, pour des raisons de masse au décollage et d’autonomie. On les retrouvera seulement à l’arrivée au Cap, qu’ils auront gagnée par des moyens ferroviaires et routiers. Et pourtant, l’ouvrage est richement enrichi de photos en noir et blanc d’un bout à l’autre. C’est donc bien Mittelholzer qui les a prises, au moins quand il s’est retrouvé seul avec Hartmann. Il explique d’ailleurs dans le texte les moments où il photographie et ceux où il filme, laissant alors les commandes à son copilote-mécanicien.
Les autres documents illustrant l’ouvrage sont cinq cartes. Mais, si l’on veut bien suivre la navigation et les péripéties du vol, de nombreux lieux étant indiqués, on ne saurait trop conseiller de se munir d’autres séries de cartes de l’Est africain, plus détaillées.
Enfin, pour le plaisir, citons un jeu de mot « l’endroit le plus méridional, car au Sud du Sudd ». Pour l’explication, car on ne veut pas tout gâcher, rendez-vous page 110.
Une fois de plus, apprécions cette possibilité qui nous est offerte d’accéder à un ouvrage quasi-centenaire, assez représentatif de la littérature des raids aériens de l’Entre-deux-guerres.
Jean-Noël Violette
Notes :
1) Ad Astra : future Swissair.
2) L’usage est, en général, de ne pas traduire les noms des appareils. C’est comme si un livre sur la Royal Air Force nous parlait des pilotes d’Ouragan ou de Cracheur-de-feu.
3) « Une place d’atterrissage », « J’appris à connaître un nouveau Dornier », « Les armes et la munition », « Dans l’Amérique du Sud », etc.



