Coup de cœur 2009 |
Regards croisés : Deux recensions, par deux rédacteurs différents, pour un même ouvrage.
– Le commentaire de Thierry Le Roy
– Le commentaire de Thierry Matra
L’ouvrage de près de trois cents pages entre dans la catégorie des « beaux livres », mais aussi dans celle, moins fréquentée, des « bons livres », car c’est une somme de travail certainement considérable, alors que beaucoup d’auteurs se contentent de sujet ressassés mais sans doute plus vendeurs.
Il est divisé en six parties distinctes à peu près égales (une quarantaine de pages chacune, sauf la dernière qui n’en fait que dix) : Les pères fondateurs, Les personnalisés marquantes de Port-Aviation, Les premières écoles de pilotage , Les constructeurs préindustriels, Voler de ses propres ailes, In memoriam (les morts de Port-Aviation), ce qui permet aux deux auteurs (Francis Bedei, fondateur d’une association pour la sauvegarde du dernier bâtiment de Port-Aviation, et Jean Molveau, journaliste aéronautique) de faire un tour des plus complets qu’il soit possible de la courte vie du premier aérodrome parisien.
Inauguré en janvier 1909 à Viry-Châtillon (près de Juvisy, Essonne), Port-aviation a en effet accueilli jusqu’à la Grande Guerre certains des plus grands pionniers français de l’aviation, mais a également rassemblé des foules tout à fait considérables à l’occasion des fêtes aériennes qui s’y sont tenues (Jules Védrines a même raconté que ce serait là, comme spectateur, que lui serait venue sa vocation).
Abondement illustré et très bien documenté, l’ouvrage est une mine de renseignements et de détails extraits pour la plupart de la presse de l’époque (L’Aérophile, La Vie au grand air, L’Auto …), mais aussi de nombreuses publications plus actuelles sur les débuts de l’aviation en France. Pourtant, le livre a les défauts de ses qualités. Le désir des auteurs d’en dire le plus possible brouille parfois le sens du récit. Par exemple, ils citent de longs extraits de journaux qui auraient parfois mérités d’être raccourcis, et font sans doute un peu trop confiance aux ouvrages de vulgarisation, qu’ils soient anciens ou beaucoup plus récents. De même, si les chapitres consacrés aux avionneurs basés à Port-Aviation se justifient pleinement, en revanche les tout aussi longs passages détaillant de bout en bout la vie d’aviateurs dont l’essentiel de l’action s’est déroulé ailleurs, laissent parfois un peu songeur ! Mais il est vrai que le but de l’ouvrage est de parler des pionniers qui ont fait la grandeur de cet aérodrome, et non de se limiter à l’histoire du lieu, ce qui a déjà été fait précédemment.
De fait, le livre apporte de très nombreuses informations, souvent extrêmement précises, sur les premières années de l’aviation, non seulement en région parisienne, mais plus généralement en France, ce qui n’est pas sans intérêt, bien évidemment. Car il s’agit là tout de même d’un travail de qualité sur une période qui, certes, a retenu l’attention des éditeurs et des auteurs en cette année du centenaire de la traversée de la Manche par Blériot, mais qui est habituellement largement délaissée par eux.
Il ne faut donc pas bouder notre plaisir de voir des auteurs sérieux se pencher sur la question, car La Belle Époque des pionniers de Port-Aviation fera certainement référence pendant les prochaines années.
Port-Aviation ! Label épique d’une épopée pionnière aux portes de Paris, ce fut l’un des berceaux véritables d’une aviation naissante aux mille facettes éphémères… Se servant de ce lieu magique situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Paris sur la commune de Viry-Châtillon (et non de Juvisy !) comme d’une plaque tournante, les auteurs nous font découvrir, ou redécouvrir pour certains mais toujours sous un ciel nouveau, ces personnages qui créèrent cette envolée du plus lourd que l’air. Ce tracé original fait de chaque chapitre consacré à ces vedettes de l’air, de véritables mini biographies totalement inédites pour la plupart !
Pensez donc, Léon Delagrange vous connaissez bien sûr, Eugène Lefèvre tout autant, d’autant plus qu’il fut le premier pilote à ouvrir ce maudit martyrologe de l’aviation, le comte Charles de Lambert et sa première « traversée de Paris » à hauteur de tour Eiffel n’est pas non plus un inconnu, mais quand arrive la seconde partie consacrée aux personnalités marquantes de Port-Aviation on s’aperçoit très vite qu’une sorte d’injustice de l’histoire vient d’être rétablie.
Eh oui ! Qui connaît aujourd’hui Florentin Champel ? Rien que le nom est enchanteur ; il fut le roi du baptême de l’air qui transporta principalement à Port-Aviation près de deux mille personnes durant les années précédant le premier conflit mondial. Qui connaît précisément la trajectoire de Lucien Demazel, du baron japonais Shigeno, élève de Demazel, ou encore d’Alfred de Pischof, pionnier en France mais également en Autriche, puis de l’insaisissable Marc Pourpe.
Tout ce foisonnement aussi vif que bref se structura rapidement en écoles de pilotage comme celle de la Ligue Nationale Aérienne de René Quinton, l’école Goupy et ses premiers biplans à moteurs tractifs, l’école Danton, « évolutionnaire », puis l’école Caudron, encore avec Demazel. Ce fut également un lieu où s’illustrèrent les premiers pilotes d’essais comme Louis Gaudart, ou Jean Legrand aux commandes de son laboratoire volant; de même que le méconnu Adolphe Doutre et son stabilisateur automatique dont le principe technique est ici clairement exposée… ainsi que la polémique qui s’ensuivit.
Une quatrième partie est consacrée à l’avionnerie et aux « avionneurs à la demande » ; c’est un peu le bestiaire de Port-Aviation qui témoigne à la fois de la richesse créatrice du lieu et du moment comme toute éclosion technique en fait naître. Tous étaient passionnés, beaucoup créèrent, peu volèrent et quelques uns firent carrière. C’est ainsi que nous sont contés les beaux jours de l’hélicoplane Jourdan, du tonneau Bertrand, de la flèche Langé-Billard ou encore de la Frégate.
Viennent ensuite les constructeurs-précurseurs comme Pierre Levasseur qui, après avoir fait œuvre d’écolage, devait se diriger vers la construction d’hélices ; François Denhaut qui apprend à voler à Port-Aviation avant de créer son hydravion à coque ; et le fameux Tubavion de Ponche et Primard dont l’historique de ce premier avion tout métallique est très détaillée. Louis Schreck, Ambroise Goupy, Mario Calderara, Émile Ladougne, Raymond Saulnier et bien d’autres sortent tour à tour de l’oubli et complètent un tableau déjà très riche en figures hautes en couleurs.
Enfin, un dernier chapitre, très court celui-ci, rend hommage aux victimes de Port-Aviation, qui en dépit du nombre de ces « foux volants » prêts à tout pour défier l’attraction terrestre, ne furent que quatre à y perdre la vie en à cinq années.
Cet ouvrage est un rare puits de connaissances révélant un énorme travail de recherche et de synthèse, comblant un vide historique sur les faits et gestes de ceux qui animèrent de leurs passions ce haut lieu de l’aviation que fut Port-Aviation ; il est par ailleurs très richement illustré par une iconographie souvent inédite, c’est d’ores et déjà une référence incontournable pour tout aérophile comme en atteste la préface signée Jacques Noetinger.
Les auteurs :
Francis Bedei, est une « vieille racine » ayant officié toute sa carrière au CEV de Brétigny, habitant à Viry-Châtillon depuis de nombreuses années. Il est le président de l’ARAOMPA, l’Association de sauvegarde des derniers bâtiments de Port-Aviation, il est également co-auteur avec le regretté Max Joy d’une Histoire de Port-Aviation.
Jean-Molveau est journaliste aéronautique, bien connu notamment dans le domaine du vol à voile dont il est un fervent pratiquant, ainsi que conservateur d’un patrimoine unique dont la valorisation reste en devenir.
Thierry Matra
300 pages, 21 x 30 cm, relié cartonnage couleur pelliculé
600 illustrations, photos et cartes postales anciennes
– Coup de cœur 2009
– Diplôme de l’Aéro-club de France