Coup de cœur 2015 |
Vous pensiez connaître vos fondamentaux concernant les kamikazes (les vrais, les Japonais) ? Balayez vos certitudes. Ne jetez pas vos anciens livres ou articles relevés dans des magazines sérieux, mais repérez bien la couverture de ce livre d’allure commune, relevez son numéro ISBN et filez chez votre libraire pour le lui commander s’il ne l’a pas en rayon (ce qui serait une erreur de sa part). Vous connaissiez le phénomène kamikaze par le regard d’historiens européens ou américains ? Vous en aurez désormais une compréhension bien plus fine par le biais de deux éminents spécialistes de l’histoire du Japon et de sa société : Pierre-François Souyri et Constance Sereni, tous deux enseignants-chercheurs à l’Université de Genève.
S’il fallait résumer cet ouvrage par une formule laconique, ce serait par le titre du quatrième chapitre Endoctrinement, terreur et idéologie qui met à mal l’image d’un sacrifice librement consenti, entre autres lieux communs bien établis. Le livre s’ouvre sur une introduction relative à la sémantique du terme kamikaze. Le ton est donné : si effectivement le mot kamikaze se traduit par « vent divin », il ne s’agit pas d’une simple allusion au typhon qui repoussa la marine mongole au XIIIe siècle. La définition donnée par le Petit Larousse pose elle-même problème, si l’on en croit les auteurs qui nous mènent avec clarté vers des subtilités lexicales importantes pour la compréhension fine du sujet.
L’étude se tourne ensuite vers les origines de la création des unités Tokkōtai1. Bien évidemment apparaît ici la figure de l’amiral Takijirō Ōnishi. Mais d’une part, les auteurs évoquent des jibaku2 antérieurs, mais surtout ils tempèrent et rectifient certains points, en particulier celui-ci : lors de la réunion du 19 octobre 1944 à Malabacat (Philippines), les actions kamikazes étaient prévues comme temporaires, le temps de l’opération Shō3. En aucun cas elles n’avaient étaient envisagées par Ōnishi comme destinées à être pérennisées, même si ensuite l’idée fit tache d’huile. La dimension purement opérationnelle n’a qu’assez peu sa place dans l’ouvrage, mais si les détails techniques ne sont évoqués que de façon succincte, les aspects stratégiques font quant à eux l’objet d’un attention particulière.
Venons-en au chapitre Endoctrinement, terreur et idéologie qui bouscule la vision américaine selon laquelle les kamikazes n’étaient que « des tueurs ou des imbéciles fanatisés »4. Dans une approche en bonne partie sociologique, les auteurs y exposent toutes les différentes pressions qui pesèrent sur ces pilotes qui étaient davantage des gamins sacrifiés que de vaillants combattants volontaires. Et l’on y verra dans le détail pourquoi et comment le prétendu « volontariat » était très discutable, arrivant à la fin de la guerre à de la coercition. Pour expliquer comment il a pu être possible de convaincre des hommes (et de très jeunes gens) d’aller au-devant d’une mort assurée, les auteurs se sont appliqués à « reconstituer le « bain idéologique » dans lequel se mouvaient les combattants (et les civils à l’arrière), et comprendre pourquoi le sacrifice suprême par mort programmée pour un État et un empereur pouvait être « acceptable » ».
Les « portraits de kamikazes » nous montrent, témoignages à l’appui, que le prétendu « volontarisme » de ces combattants n’était que le fruit d’une pression sociale et idéologique difficilement soutenable, et que la plupart des kamikazes haïssaient l’armée. Pour finir, les auteurs évoquent le poids de la propagande, passée et présente, qui pèse encore sur la population japonaise… et sur le comportement de certains politiciens nippons.
Nous sommes en présence d’un livre d’un contenu d’une très grande qualité, rédigé par des auteurs qui maîtrisent le sujet à la perfection et nous le présentent sous toutes ses facettes avec clarté, en évitant simplifications et raccourcis. Travail d’universitaires, certes, mais très accessible, ce livre, un modèle du genre, tord le cou de façon argumentée à bien des poncifs. Indispensable à une bonne compréhension du « phénomène kamikaze » qui demeure (en dépit d’abus de langage contemporains) unique en son genre dans l’histoire militaire moderne.
Philippe Ballarini
NDLR : Nous avons apprécié le fait que les notes aient été placées en bas de page, et non en fin d’ouvrage (où on ne les consulte quasiment jamais).
1 – Unités Tokkōtai : unités « d’attaque spéciale » (attaques-suicide)
2 – Jibaku : attaque-suicide
3 – L’opération Shō eut pour cadre le golfe de Leyte (Philippines). Elle visait à stopper l’avancée américaine dans le Pacifique.
4 – page 138
251 pages, 13,5 × 22 × 1,8 cm , broché
Cahier photos 8 pages
0,275 kg