En 2021, Patrice Buendia et Frédéric Zumbiehl commençaient à travailler sur le nouveau cycle de Tanguy et Laverdure, prévu sur deux albums. Souhaitant coller à l’actualité et se placer dans une zone de tensions vraisemblable, ils situaient leur action dans un pays slave, frontalier avec la Russie, touchant la Mer Noire, divisé entre régions russophones et nationalistes parlant leur propre langue… Ce premier album arrivait en librairie quatre mois jour pour jour après l’invasion russe de l’Ukraine. Certains ont alors pensé que les auteurs profitaient lourdement de cette guerre nouvelle, à la façon des scénaristes de certaines séries américaines qui capitalisent presque en temps réel sur tous types d’événements. Pour ceux qui connaissent les délais de fabrication, et en particulier de dessin, d’une bande dessinée, il était pourtant évident que l’histoire avait été bouclée au moins un an plus tôt, mais l’ambiance de lancement était pour le moins particulière…
Seize mois ont passé. Le second volume, Marée rouge en mer Noire, est désormais paru, permettant de considérer l’ensemble de ce diptyque. Nous sommes donc en Khuranie, où les pays de l’Otan assurent la sécurité aérienne. Là, Tanguy et Laverdure croisent un appareil mystérieux, invisible au radar, volant tranquillement à plus de Mach 2 et 20 km d’altitude. Aucun doute possible : la Russie a réussi à mettre au point une technologie de furtivité à plasma. Le principal industriel aéronautique khuranien décide alors de voler cet appareil, en utilisant les pilotes français à son compte…
Parfois, pour une mission dans un pays étranger, il est préférable de ressortir un vieux planeur d’assaut en bois plutôt qu’un avion détectable et identifiable…
Avec l’aimable autorisation des © Éditions Dargaud
Buendia et Zumbiehl rendent, à leur habitude, une copie soignée. L’histoire est foisonnante, peut-être un poil trop complexe, mais les enjeux militaires, industriels, politiques et même sociaux sont bien présents. Les divisions du pays entre russophones et khuranophones jusque dans les services officiels, la collusion entre gouvernement et industrie, l’utilisation quasi systématique de paramilitaires pour diverses opérations inavouables sont autant d’éléments de l’intrigue dévoilés au fil des rebondissements. Lorgnant sur la politique-fiction et l’espionnage autant que sur l’aéronautique pure et dure, cette histoire est en tout cas entraînante.
Aux pinceaux, Sébastien Philippe fait un travail agréable. Il s’est bien approprié les personnages, avec un trait personnel, librement inspiré d’Uderzo mais très moderne. La mise en page dynamique aide à avaler quelques planches un peu chargées en texte. Nous serons un peu plus critiques vis-à-vis des véhicules. Les formes et proportions sont bien rendues, le dynamisme des scènes aéronautiques est réel, mais le travail probablement fait d’après photos donne quelques incohérences, comme un Mirage 2000C aux becs sortis en croisière et des voitures khuraniennes clairement immatriculées en France ! Enfin, la mise en couleurs très moderne, avec ses dégradés un peu « informatiques », peut déplaire à certains – même si elle profite de teintes réalistes très réussies.
Cela ne devrait cependant pas vous détourner d’un diptyque rythmé, parfois peu vraisemblable mais toujours entraînant, qui profite d’une ambiance de pays coupé en deux, menacé par son voisin, où tout le monde marche sur des œufs de peur de déclencher une guerre sans pour autant arrêter d’avancer ses propres pions, et où l’on ne sait jamais de quel côté viendra la prochaine trahison.
Franck Mée
48 pages, 22 x 30 cm, cartonné
Avec l’aimable autorisation des
© Éditions Dargaud
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© Éditions Dargaud
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