Les livres sur le Normandie-Niémen sont légion. Mais force est de reconnaître que ce sont souvent des ouvrages de synthèse, reprenant des informations ou des narrations déjà publiées. Celui-ci s’avère différent, en ce sens que les sources utilisées par l’auteur sont tout simplement… humaines. François Robinard a bien connu Joseph Risso (entre autres), et c’est en utilisant ce qu’il lui rapporta qu’il bâtit la trame de ce livre très centré sur les hommes du régiment mythique. Quinze destins de pilotes : c’est le sous-titre de ce Normandie-Niémen. Certes, ils furent plus nombreux que cette poignée, mais qu’est-ce qui a guidé le choix de ces quinze-là ?
Nous avons interrogé François Robinard à ce sujet, car a priori la liste nous semblait quelque peu disparate. Il n’était pas envisageable de composer un tel ouvrage sans évoquer Marcel Albert, Marcel Lefèvre, Pierre Pouyade, Joseph Risso avec lequel l’auteur échangea à diverses reprises. La plupart des « grands noms » du Normandie-Niémen sont là, mais également quelques autres, souvent passés sous silence, certains ayant trouvé la mort à peine arrivés sur le sol russe ; ils auraient pu avoir un destin formidable si la Camarde ne les avait fauchés dès leur entrée en service. Un détail qui révèle l’esprit curieux de François Robinard : il avait remarqué (et interrogé Joseph Risso à ce sujet) une surprenante proportion de noms à particule dans le régiment. Il évoque une dizaine de ces membres de la noblesse dans des commentaires de tailles variées.
François Robinard n’est pas un maniaque de la technique : le comptage de rivets, ce n’est pas pour lui. François Robinard n’est pas non plus un comptable : les chicaneries au sujet des « palmarès », il les laisse aux autres. D’ailleurs, à propos des victoires de Marcel Lefèvre, il écrit « Abattre un avion où la vie du perdant est mise en jeu et le matériel détruit n’a rien à voir avec une partie de tennis. Seul compte le résultat, car c’est bien un ennemi qu’il faut abattre et non un adversaire qu’il fut battre ! 9, 12, 12, 14 victoires ? Peu importe ; Marcel Lefèvre fut un magnifique combattant portant haut l’honneur de la France à une époque où elle avait bien besoin d’hommes de cette trempe. » On peut difficilement lui donner tort. Ce qui intéresse François Robinard, et c’est très perceptible dans son livre, c’est l’humain. Dans un passage au sujet de la couleur des appareils (vieille antienne, vieilles querelles), il manifeste un respect ironique et narquois envers ceux qui vivent dans une absolue certitude. À tel point qu’en ce qui concerne le Yak-9 de Lefèvre à Toula, il a commandé à l’illustrateur Nicholas Gohin deux profils identiques… hormis en ce qui concerne les couleurs.
Les chapitres consacrés à chacun des pilotes sont de longueur inégale. Treize pages pour Marcel Lefèvre, deux pour Georges Lemaire, une pour Adrien Bernavon… Cela n’a rien à voir avec la « valeur » ou les qualités des pilotes, mais avec les informations dont disposait l’auteur, le plus souvent dans ses propres archives. Dans une écriture agréable et vivante, François Robinard nous fait partager l’existence de ces héros de la France Libre, tantôt célèbres, tantôt quasiment inconnus. Ces narrations sont émaillées de témoignages et des notes (assez conséquentes) sont regroupées dans un cadre de couleur à la fin de chaque évocation. Nous sommes bien éloignés de la froideur de certains ouvrages sur le régiment Normandie-Niémen. Sont perceptibles le profond respect et la grande admiration de l’auteur pour ces hommes auxquels la France est redevable.
Ce livre est très « typé Heimdal ». Un bel équilibre entre le texte et une iconographie abondante, mais sans excès. Bien évidemment, on retrouvera dans ces images quelques clichés déjà connus, mais ces illustrations sont d’une grande variété et d’une certaine originalité. Outre les incontournables profils, l’ouvrage présente des extraits de documents (titre de Héros de l’URSS, licence de pilote), des éléments de l’équipement (porte-cartes), insignes et blasons, publicités… Le lecteur trouvera également quantité de hors-textes sur fond de couleur, nous renseignant sur les victoires, les décorations, des renseignements techniques, des tableaux d’effectifs…
Le tout est, comme de coutume chez cet éditeur, d’une excellente qualité d’impression sur un papier satiné de fort grammage, le tout enserré dans une couverture cartonnée. Un livre qui allie un contenu sans reproche (dont on devine que l’auteur a dû se réfréner tant le texte est dense) et une certaine élégance. Ce volume vaut largement les 24 € qu’il faut débourser pour l’acquérir et cet ouvrage n’est pas, rappelons-le, une énième « resucée » de livres antérieurs.
Philippe Ballarini
128 pages, 21 x 29,7 cm, relié
0,802 kg
Cet ouvrage est la version reliée de Historica n°100.