L’éditeur Skyshelf.eu s’est lancé, avec sa collection « La bibliothèque du Ciel », dans une grande entreprise de ré-édition d’ouvrages anciens. Celui qui nous concerne aujourd’hui est même plus que centenaire puisque son auteure, Margaret Burnham, l’a écrit en 1911. Il serait intéressant de connaître les choix éditoriaux qui ont conduit à cette sélection en 2025, car ce livre, contrairement à d’autres opus vraiment spécialisés dans les choses de l’Air qu’il est bon de voir publiés à nouveau, est en fait un roman d’aventure, comme cela était très à la mode entre le milieu du XIXe et le début du XXe siècle. Ici, c’est même un roman d’aventures, au pluriel, rocambolesques, pour la jeunesse, où les avions servent surtout de toile de fond et où l’on croise de méchants gitans voleurs d’enfants, de dangereux pyromanes, des béliers agressifs, des concurrents déloyaux, des distillateurs d’alcool clandestin, etc.
Les avions, parlons-en, répondent aux doux noms de « Red Dragon » , « Golden Butterfly » , « White Flier » et « Dart » . Mais que les spotters ne s’emballent pas, nul besoin de fouiller dans leurs fiches pour les retrouver, ce sont des appareils imaginaires, dont on a souvent l’impression qu’ils s’envolent ou se posent comme par magie, et dont les moteurs sont suffisamment silencieux pour qu’on puisse échanger entre deux machines ou avec les spectateurs au sol. L’illustration de couverture, certainement créée par Intelligence Artificielle (1), ne peut être d’un grand secours.
Notons un point positif : à la page 8, l’auteure rompt avec les temps de narration pour nous faire faire connaissance avec sa petite bande d’héroïnes et de héros, une espèce de mise en abyme qui nous présente son ouvrage précédent et nous explique la formation au pilotage de tout ce beau monde. Ça a le grand mérite de nous faire repérer qui est qui, et qui sait quoi faire. On parle de littérature pour la jeunesse, et cela rappelle un peu un « Club des 5 » ou un « Six compagnons » se déroulant dans un milieu de bourgeoisie nord-américaine aisée.
De façon surprenante, l’ouvrage paraît assez féministe pour l’époque, expliquant que les femmes/filles peuvent faire aussi bien que les hommes/garçons. Mais c’est cependant au cœur des stéréotypes d’il y a 100 ans, de genre en l’occurrence (2), mais aussi de classe sociale (3) ou ethniques (4).
Le livre est émaillé, à de nombreuses reprises, de fautes de traduction (5), erreurs de genre (6), américano-anglicismes (7), répétitions redondantes (8) ou même mots inventés (9).
À défaut de trouver sa place sur une véritable « Bibliothèque de l’aviation », on peut lui garder une petite case dans une collection pour les plus jeunes, en les prévenant toutefois auparavant qu’il y aura plein de mots « bizarres » à trouver au fil de la lecture. Mais ça peut faire l’objet d’une chasse aux trésors…
Jean-Noël Violette
Note :
1) C’est davantage un appareil de l’Entre-deux-guerres que des années 10 qui est représenté. Ce n’est pas totalement anachronique, soyons tolérants, puisqu’une ré-édition du livre a déjà eu lieu dans les années 30. Mais un dessinateur humain aurait pensé à lui ajouter des ailerons…
2) Stéréotypes de genre :
* page 14 « … gourmandises de pique-nique, que toutes les filles, malgré leur engouement pour l’aviation, n’avaient pas oublié comment préparer. »
3) Stéréotypes de classe sociale :
* pages 24 et 91 fermier « … avec l’avis du rustre. »
4) Stéréotypes ethniques, mais rappelons-nous que ça a été écrit en 1911 :
* pages 14-15, les gitans voleurs d’enfants ;
* pages 101-102
« M.James Parker était assis sous le porche […]
‘Il regarde le ciel…’ dit son factotum, Oncle Jupe
‘Allez, espèce de nègre idiot, tu ne sais pas… »
5) traduction :
* page 13 « buggies volants ». Il ne s’agit pas de véhicules 4×4 pour rouler sur le sable, mais plus certainement d’un mot oublié dans la traduction, bug = insecte ;
* pages 14, 37 et 84 « depuis le tonneau de l’appareil ». Je cherche encore quel mot signifiant l’habitacle d’un avion ou d’une auto a ainsi pu être mal traduit ;
* page 72 « à vendre à prix d’aube. » Ce doit être une aubaine ;
* page 84 titre « À la recherche d’une nouvelle prise ». Or les héros cherchent une nouvelle bougie d’allumage pour leur moteur. Faute de traduction car « Glow plug » = bougie, alors que « Plug » = prise.
6) traduction du genre ou du type :
* page 6 « mon négligence » ;
* page 13 « la petite Dart verte » et « la Red Dragon« . Les avions, comme les bateaux, sont du genre féminin en anglais, et masculin en français ;
* page 44 « des gens de son race ».
* page 53 « que la Butterfly avait des pneus… »
* page 55 « les traces de la Butterfly… c’est là qu’elle avait quitté la route. »
* pages 68-69 on nous parle d’un « Runabout » dans le fossé, en alternant la description entre auto et moto. Un Runabout est en fait ce que l’on appellerait « un tacot » antérieur à la Première Guerre mondiale, un quadricycle motorisé sans flanc ni, parfois, pare-brise ;
* page 88 « Vous avez des bougies d’allumage ? […] J’en ai quelques uns… ».
7) américano-anglicismes
* page 35 « jeter la charge sur le moteur » (mettre la puissance) ;
* page 70 « il y a beaucoup de dérapements de la coupe aux lèvres ». Il y a loin de la coupe aux lèvres
8) répétitions
* page 38 « …qui était si étrangement entré en leur possession. C’était étrange, mais aucune d’entre elles ne suggéra de remettre cet étrange petit trouvé aux autorités… » ;
* page 91 « Les bœufs, lents et puissants, tendirent leurs muscles. La chaîne se tendit. »
9) néologismes
* page 51, titre « Une vingture violente » ;
* page 79, titre « La bougie de moteur torde« .



