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Le TEM adapté à l’aviation légère

De l’intérêt de relier le TEM (gestion des menaces et des erreurs) aux compétences pilote

Le TEM (Threat and Error Management) est une méthode d’amélioration de la sécurité des vols utilisée par les pilotes professionnels depuis plus de quinze ans (1).  Les auteurs, Didier Lamy, ancien commandant de bord Air France chez qui il était spécialiste des facteurs humains, et François Sautet, chef-pilote très expérimenté de l’Aéro-Club Dassault Île de France où il déploie cette méthode, nous démontrent dans ce petit ouvrage (103 pages) le bien-fondé de son utilisation potentielle par l’aviation légère.

Les Facteurs Humains (FH) ont été formalisés dans le milieu aéronautique au milieu des années 80. Auparavant, quand mon ancien chef-pilote au cours d’un briefing matinal parlait de « viscosité mentale » à propos du peu de réactions de certains pilotes confrontés à des situations accidentogènes, tel Monsieur Jourdain avec sa prose, il appliquait certainement le TEM sans le savoir, tentant de faire gérer menaces et erreurs par ses ouailles.

Les auteurs précisent leur but, page 9 : « Intégrer pleinement les FH de manière plus pratique et moins conceptuelle qu’auparavant ».
Si le choix d’exemples concrets traduit bien cette volonté, il faut craindre que le recours, parfois à outrance, aux acronymes essentiellement anglo-saxons (2), ne rende pas immédiat ce transfert méthodologique (3).

L’ouvrage est bien illustré. Mais il faut noter, et ce doit être une nouveauté pour un ouvrage pédagogique, qu’aux côtés des schémas et simples dessins habituels pour un tel manuel, la petite dizaine de « photos » utilisées sont en fait des conceptions graphiques, à priori générées par Intelligence Artificielle. Vous avez un exemple en couverture.
Il faudra peut-être commencer à s’y habituer…

L’ouvrage s’articule autour de 4 grandes parties, représentant 14 chapitres assez courts. Certains sont plutôt recommandés aux instructeurs, mais abordables par tous.

Il convient de s’attarder sur l’exemple étudié à partir de la page 77. Il s’agit d’un posé train rentré sur l’altiport de Megève, dont la vidéo est accessible via un QR-Code. Cet enregistrement avait eu un certain succès lors de sa publication sur Internet, en août 2009. Le pilote, filmé par un passager en place arrière, se présente en finale sur la piste mégevane alors que retentit fortement dans l’habitacle la sonnerie d’alerte du train encore rentré. Et il conduit son atterrissage ainsi jusqu’au bout, malgré l’alarme persistante, finissant bien entendu sur le gésier, fond du fuselage bien raclé, hélice ratatinée, etc.
Didier Lamy et François Sautet analysent alors les différentes « plaques de Reason » qui auraient pu sauver le dessous du beau monomoteur si les trous de sécurité ne s’étaient pas alignés : la plaque Procédure, la plaque Action/Contrôle, la plaque Matériel/Avion, la plaque Expérience/REX et finalement  la plaque Chance. Si cette analyse semble judicieuse dans son principe, on trouve une aberration pédagogique au point Expérience/REX : « A priori le pilote n’a pas déjà vécu cette expérience. En revanche, côté REX, il aurait plus facilement remis les gaz s’il avait lu des REX traitant de l’hésitation à utiliser cette procédure. » En effet, tous les pilotes de montagne le savent bien, ou en tous cas il faut l’espérer, on ne remet jamais les gaz en finale sur un altiport. Il est d’excellents livres sur le vol montagne chez Cépaduès qui abordent ce sujet.
Pour parler le jargon TEM, l’E.I. final de l’avion, dans le cadre du domaine de risque ARC, sans RE n’a pas entraîné de dommages corporels mais une RDG en environnement montagneux clos aurait certainement généré un CFIT avec un bilan triplement mortel (4). Cet exemple n’est donc pas approprié

Malgré cette maladresse, on comprend donc que cet ouvrage est essentiellement un plaidoyer pour le transfert de la méthode TEM de l’aviation commerciale à l’aviation légère.  Il y a certainement de bonnes choses à en tirer, mais cela implique un nouveau langage à apprendre. La partie compétences pilotes, est aussi un nid à acronymes, mais français cette fois. Cela nous réserve le plaisir de lire certaines phrases (exemple page 97) :
« Dans ce cas précis, c’est la compétence CON (connaissances) qui est en défaut. »

Jean-Noël Violette

Notes
1) « depuis plus de quinze ans » selon la page 9, « depuis plus de vingt ans » selon la 4e de couverture.

2) exemple, page 26, les auteurs résument deux points-clés du chapitre étudié. Voici le premier (sic) :
« Les principaux domaines de risques en aviation légère sont : LOC-1, CFIT (CTOL, LALT), MAN/NMAC, ARC et RE ».

3) page 50, « Dans le jargon pilote, quand vous aurez l’habitude de raisonner en domaine de risque, vous direz « le risque, c’est du MAC » « .

4) traduisons : l’État Indésirable final de l’avion, dans le cadre du domaine de risque « Contact anormal avec la piste »  (Abnormal Runway Contact), sans sortie de piste (Runway Excursion) n’a pas entraîné de dommages corporels, mais une remise des gaz au milieu des montagnes aurait certainement généré une collision avec le relief (Controled Flight Into Terrain) entraînant la mort des trois personnes à bord.

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ISBN 9782383952060 103 pages 16×24 cm, broché, couverture souple 18 €