Souvenez-vous… C’était en 1946-47, la Troisième Guerre mondiale, menée par l’empire du Tibet contre le reste de la planète. Celle-ci avait brutalement pris fin par l’intervention inespérée d’une escadrille d’Espadon, le chasseur-bombardier amphibie sous-marin à réaction conçu dans une base secrète par le professeur Mortimer. Telle est, en très bref, l’histoire des trois premiers volumes des aventures de Blake et Mortimer, Le secret de l’Espadon. Cependant, dans les albums suivants, les Espadon et les avancées technologiques associées semblent n’avoir jamais existé.
C’est à ce vide historique qu’a décidé de s’attaquer Jean Van Hamme, dix ans après avoir quitté la série. Avec Le dernier Espadon, il explique ce que sont devenus les appareils qui avaient survécu au raid sur Lhassa : objets des convoitises de l’IRA, soutenue par des nazis ayant échappé aux Alliés, ils sont détruits ou volés dans le cadre de « la plus effroyable machination jamais ourdie contre l’Angleterre ».
Le scénario fait la part belle à l’action et aux rebondissements, dans la ligne des œuvres d’Edgar P. Jacobs. Cependant, il offre aussi une bonne densité : l’intrigue progresse régulièrement au fil des événements, en nous épargnant les rebondissements artificiels destinés à gagner quelques planches qui émaillaient les publications originales du Journal de Tintin. Cette histoire a été conçue dès le départ comme un album unique, ce qui se ressent agréablement sur la maîtrise de la narration.
Cela n’empêche pas quelques petites incohérences. Ainsi, désormais, « même un pilote chevronné doit passer six mois d’entraînement intensif » pour apprendre à maîtriser l’Espadon. Pourtant, l’appareil, initialement conçu comme un drone, avait été équipé d’un poste de pilotage en trente heures et les neuf exemplaires avaient été envoyés en opérations sans aucun vol d’essai ni aucune prise en main préalable !
Détail pour les pinailleurs : les didascalies sont désormais en minuscules, comme les dialogues. Elles étaient en capitales dans les premiers Blake et Mortimer. ©Éditions Dargaud
Les graphismes sont pour leur part confiés à Peter van Dongen et Teun Berserik, qui avaient déjà dessiné La vallée des Immortels. Ils fournissent un dessin propre, fidèle à la ligne « pas si claire » de Jacobs – un équilibre subtil entre le trait pur qu’Hergé appréciait tant et une approche plus réaliste, avec ombres et volumes. Les amateurs d’engins volants y trouveront évidemment des Espadon, mais aussi un Sikorsky R-5 au rôle assez important et les occasionnels Lysander et Dragon Rapide. Van Dongen s’est également chargé de la mise en couleurs : moins criarde que celle de Jacobs, elle est assez discrète mais réussie, aidant subtilement à marquer le passage des séquences.
L’ensemble est donc une œuvre maîtrisée, calibrée pour plaire aux fans de l’original. On n’échappe pas à des textes très chargés, comme l’impose le style de l’époque, mais scénario comme dessin sont subtilement modernisés pour mieux passer auprès d’un public actuel. Sans être révolutionnaire ni exempt de verbosité, c’est un travail honorable et respectueux, que vous pourrez discrètement insérer entre Le secret de l’Espadon et Le mystère de la Grande Pyramide.
Franck Mée
64 pages, 23,7 x 31 cm, couverture cartonnée
0,554 kg
Avec l’aimable autorisation des
© Éditions Dargaud
Avec l’aimable autorisation des
© Éditions Dargaud