« Ce livre n’est pas l’œuvre d’un auteur, mais celui d’un collectif de pionniers de l’ALAT qui, groupés autour de leur président actuel, le général de Monchy, ont bien voulu évoquer leurs souvenirs de la guerre d’Algérie. » L’avertissement en entrée de cet ouvrage, dont la couverture porte pourtant le nom de Pierre Dufour (chargé de la conception et de sa réalisation), est important pour en comprendre la philosophie : il ne s’agit pas d’un ouvrage ayant une vocation exhaustive ou « définitive », mais bien d’un recueil de témoignages que nous découvrons opportunément, en ce cinquantième anniversaire de la cessation des hostilités en Algérie.
L’ouvrage se décompose en cinq grands thèmes (aux titres malheureusement très peu visibles si bien qu’à la première impression on a le sentiment d’avoir affaire à un livre tout d’un bloc) divisés en un ou plusieurs sous-titres :
– Défis de l’histoire (Le tournant de l’ALAT)
– De la Toussaint rouge à la Guérilla 1954-1956 (L’Algérie à la veille de l’insurrection – La situation de l’ALAT après la guerre d’Indochine – Crespin, Puy-Montbrun et les hélicoptères de combat – Les unités de l’ALAT en Algérie – Les appareils en service entre 1954 et 1962)
– Une guerre sans nom (Les premières opérations – La bataille du pétrole – La guerre des djebels)
– L’amère victoire des djebels 1958-1962 (La bataille des frontières – Le plan Challe – Les derniers feux)
– Une nouvelle ère
Sur un papier d’une excellente qualité, les souvenirs inédits alternent avec des extraits d’ouvrages sur l’histoire de l’ALAT ou de revues telles que la Revue de l’ALAT, Inch’Alat ou encore Béret Bleu, ce qui en fait un livre très vivant où l’action et le baroud sont au coin de chaque page. Il semble bien difficile de faire abstraction de l’histoire de l’ALAT dans ce conflit : même si l’armée de l’Air mettait en effet en œuvre l’aviation d’appui (T-6, T-28, P-47, etc.) et ses propres hélicoptères, elle opérait souvent de concert et au profit de l’armée de Terre, lorsque les les Piper L-18 et L-21, Cessna L-19 d’observation de l’ALAT signalaient des rassemblements de rebelles à attaquer, ou lorsqu’il fallait protéger les hélicoptères H-19 ou H-21 débarquant ou récupérant des commandos dans le djebel, ou encore les Alouette II procédant à des évacuations sanitaires. Si l’on avait encore un doute, on réalise à la lecture de ces récits de vétérans que l’ALAT en Algérie a effectivement expérimenté et donné naissance au concept de l’aéromobilité — la cavalerie aéroportée — repris par les Américains au Vietnam et spectaculairement illustré par les films d’outre-Atlantique sur cet autre conflit. Et alors que durant la Seconde Guerre mondiale, certains responsables militaires accablaient l’aviation pour son absence ou au contraire n’entreprenaient aucune action sans s’être assurés de son soutien, le point de vue du lieutenant-colonel Bigeard (qui avait peu de temps auparavant vécu la guerre d’Indochine et les véritables débuts des hélicoptères au combat) sur les voilures tournantes, en 1957, montre qu’en véritable baroudeur et homme de terrain, il n’y voyait pas une « arme absolue » (extrait) : « Est-ce à dire que nous sommes en mesure de formuler une opinion définitive sur cet outil de combat, trop souvent considéré comme un moyen de transport destiné à affranchir le fantassin de sa raison même d’exister : la marche ? […] Nous avons déjà affirmé que l’hélicoptère ne constituait pas la panacée universelle pour la manœuvre […] En Indochine et tout spécialement en haute région tonkinoise, dans une nature aussi tourmentée que celle du djebel, contre un adversaire autrement sérieux, il a fallu se battre et se ravitailler sans hélicoptères et en obtenant cependant des bilans payants […] Logistique : on n’emploiera jamais aussi bien l’hélicoptère que si on sait s’en passer et si l’on sait que les circonstances peuvent nous obliger à en être privés. »
La mise en page de l’ouvrage est agréablement dosée entre témoignages, encadrés et cartes en couleur, dessins, fiches techniques, photographies noir et blanc et couleur, ce qui contribue au plaisir à le parcourir. Toutefois, certaines photographies directement scannées dans la bibliographie existante et non détramées sont hélas reproduites grossièrement en l’état. De même avons nous noté à plusieurs reprises des confusions dans l’identification des avions, un Broussard en page 24 étant en réalité un NC 856, un L18 en page 95 plutôt un autre NC 856, un MH 1521 Broussard en page 103 à l’évidence un NC 856 Norvigie. Mais ces photographies ne présentent pas seulement l’ALAT et ses hommes ou ses machines, mais aussi des photographies de la guerre d’Algérie en général, qui permettent à ceux qui comme nous n’étaient alors qu’à l’état de projet, d’essayer d’imaginer les conditions de l’époque. Enfin, sempiternel moulin à prières en matière de recensions, nous aurions bien aimé trouver en fin d’ouvrage un index de tous les noms cités ainsi que la bibliographie.
De fait, la guerre d’Algérie et celle du Vietnam – toutes deux de type anti-insurrectionnel, de contre-guerilla — ont sans aucun doute constitué les grandes heures de l’aéromobilité à grande échelle. Pour notre part, nous ne connaissions que les grandes lignes du rôle novateur de l’ALAT en Algérie et de ses actions : cet ouvrage collectif, vivant et très attrayant, trouve désormais une place de choix dans notre Aérobibliothèque. Et en ces temps marqué par d’incessantes « repentances mémorielles », il est bon de se souvenir que ces combattants ne faisaient qu’obéir aux ordres des autorités politiques et qu’ils avaient le sentiment invincible de ne faire que leur devoir. À ce titre, ils méritent notre respect. Si vous voulez « droper le djebel », n’hésitez pas à découvrir L’aviation légère de l’armée de Terre en Algérie 1954-1962
Georges-Didier Rohrbacher
216 pages, format 22,5 x 30 cm, relié + jaquette
Préface du général Yann Pertuisel