Le seul qualificatif d’érudition apposé sur un ouvrage est bien trop souvent synonyme de vague insurmontable, où l’on imagine une nébuleuse de mots savants juxtaposés en interdire son accès au profane, oui mais ! Ici comme ailleurs il existe des exceptions et La Belle Époque de la Conquête de l’Air en est une. Cet ouvrage collectif d’analyse et de synthèse, réussi sous la direction de Stéphane Tison, est en fait le recueil des conférences données lors de deux manifestations du Centenaire des vols de Wilbur Wright au Mans en 2008. Wilbur Wright et son Flyer en sont, tout comme pour ce qu’il est convenu d’appeler « le vol pratique », le point nodal. Le sujet de chaque intervenant est une approche sociale, politique ou militaire relative à un domaine particulier qui permet de remettre ces premiers vols dans la perspective de l’époque et tout simplement de faire connaître cette époque plus particulièrement dans la région mancelle.
Le Mans, ville en plein essor en ce début de XXe siècle est déjà à la pointe du progrès mécanique avec les automobiles Léon Bollée depuis la fin du siècle précédent. Léon Bollée sera l’un des rares véritables amis de Wilbur Wright. Avec des personnages aussi avides de modernité – dirait on aujourd’hui – que le sénateur local Paul d’Estournelle de Constant, « Rêver l’inconnu, conquérir l’impossible » le lieu était tout disposé à accueillir l’envol de l’américain, lui offrant son ciel loin de la frénésie parisienne. Et même si les militaires qui le suivait d’un œil intéressé mais solidement conservateur semblèrent tout d’abord lui refuser le polygone d’Auvours, ils cédèrent très vite face au besoin d’espace sans cesse grandissant qui ne cessa qu’avec la coupe Michelin 1908, coupe Michelin à laquelle une étude est consacrée, de même que l’histoire du camp d’Auvours.
Paul Painlevé, scientifique devenu politique par conviction, totalement acquis à la cause de l’aviation puisqu’il en fut l’un des plus fervents défenseurs dans les hémicycles, trouve ici une place méritée qui sort enfin ce personnage majeur et complexe de l’oubli. Une partie importante de l’ouvrage est consacrée à la militarisation du ciel, ce qui pour certains pourrait sembler quelque peu éloigné de la trajectoire initiale. Mais n’oublions pas que dans la turbulence Wright, les militaires représentaient au moins le premier si ce n’est le seul marché à conquérir. Et de fait le Flyer Wright fut souvent le premier de la quasi totalité des armes aériennes des futurs belligérants d’un conflit dont l’ombre meurtrière se faisait plus solide à chaque avancée technologique. Lazare Weiller, le « sponsor mandaté » pourrait on dire des Wright, n’était il pas motivé par la reconquête de son Alsace natale ; les Cigognes ont donc aussi germé quelque peu au Mans en cet été 1908. C’est pourquoi, « de Clément Ader aux frères Wright », « la naissance de la 5e arme » et « le danger aérien et la France d’avant la Première Guerre mondiale » sont autant de sujets qui s’inscrivent dans le sillage du Flyer.
Et bien sûr, comment ne pas parler de ces quasi premiers pas de l’aviation mondiale de 1908 comme fertilisant d’une entente politique plus que cordiale entre la France et les États-unis, lorsque l’on sait que plus des deux tiers du contingent de l’Oncle Sam, soit plus d’un million et demi d’hommes, transitèrent par le Mans et sa région avant de retraverser l’Atlantique. Le point culminant et final quant à la chronologie historique de l’ouvrage, en étant l’inauguration au Mans en juillet 1920 du monument toujours visible réalisé par Paul Landowsky et dédié « à Wilbur Wright, aux précurseurs et aux victimes de l’aéronautique et de l’aviation ».
Bien que figure le « carnet de vol » reconstitué du Flyer en annexe, vous ne trouverez pas dans cet ouvrage de description photographique des moindres faits et gestes de Wilbur au Mans, d’autres ouvrages s’en sont déjà chargé. Par contre, si vous voulez parcourir les coulisses de la scène sous l’analyse éclairée de spécialistes avérés de l’aéronautique et de la société de la Belle Époque alors vous trouverez dans ce livre le complément idéale à votre aérobibliothèque.
J’ajouterai pour terminer que la qualité de l’impression et le caractère inédit de l’iconographie, plusieurs double pages couleurs à rabat, lui confère une qualité rare pour ce prix.
Thierry Matra
260 pages, 16,7 x 24,8 cm
Ouvrage collectif réalisé sous la direction de Stéphane Tison, maître de conférences en Histoire contemporaine à l’Université du Maine.