Après guerre, un pilote déserteur de l’armée américaine vivote dans le Pacifique avec son Vought Kingfisher. Un ancien camarade resté dans l’armée le retrouve et lui impose un contrat : diriger une escadrille de parias dans son genre afin de retrouver un industriel disparu au large de la Nouvelle-Guinée…
Dans la vie, il n’y a pas que les séries sérieuses. Buendia les pratique beaucoup, dans des cadres historiques précis et en respectant un certain réalisme, même lorsqu’il injecte des éléments fantastiques. Mais cette fois, l’heure de la récré a sonné : Ghost Squadron n’a aucune volonté réaliste. C’est un récit d’aventures échevelées classique, à mi-chemin entre L’homme de Rio et Inglourious Basterds ou entre Rambo 2 et Les as du Pacifique, sur une trame qui mêle Les douze salopards et La mystérieuse escadre Delta.
Dès la première planche, les rebondissements sont aussi nombreux que les clichés, le recrutement de chacun des cabochards appelés à former l’escadrille donne lieu à autant d’échanges invraisemblables, les avions réunis sont aussi improbables que leurs pilotes – du Kingfisher au Super Corsair en passant par le Havoc. Le rythme et la tonalité de l’ensemble rappellent les comics des années 60, évidemment débarrassés des contraintes morales des autorités de l’époque.

Logiquement, Damien Andrieu reprend également le style des vieux illustrés d’action – agrémenté parfois de clins d’œil au cinéma, comme un flash-back en noir et blanc. La mise en page met l’accent sur le dynamisme, avec un nombre de cases par planche relativement limité par rapport à d’autres albums récents, et le dessin est nettement moins réaliste et détaillé que dans Adler. De grosses hachures donnent du relief tandis qu’une trame grossière s’occupe des ombres et des variations de tons. Cela rappelle quelques grands noms des comics classiques (Andrieu cite Toth et Caniff)… mais cela surprend sur un album de 24 par 32 cm vendu en librairie de nos jours.
Rappelons en effet que ce « style comics » classique était directement lié à la production en masse pour un coût très faible et une distribution en kiosque. La mise en page aérée permettait de rester lisible malgré un petit format, le dessin épuré était obligatoire pour que le dessinateur tienne le rythme 1, les gros points de la trame survivaient à l’impression sur un papier médiocre et les couleurs étonnantes résistaient à un support jaunâtre. La même logique se retrouvait d’ailleurs chez Dupuis : si le format des bandes dessinées franco-belges était supérieur, les albums étaient imprimés sur un papier brut à la blancheur toute relative et emballés d’une couverture souple. Aujourd’hui, la bande dessinée ne souffre d’aucune de ces contraintes : l’album profite d’une robuste couverture reliée et d’une impression soignée sur un papier glacé grand format de qualité, permettant une impression particulièrement précise avec des dégradés de couleurs impeccables et des détails extrêmement fins. Les maniaques à la vue perçante noteront d’ailleurs sur certaines cases, notamment maritimes, la très fine trame d’impression habituelle en 2025 sous la trame grossière du « style comics ».
Les nostalgiques de l’âge d’argent des comics apprécieront donc de retrouver la même ambiance, les mêmes rebondissements et le même style graphique dans un album de meilleure qualité, peut-être plus adapté à la vue des retraités. On peut cependant douter du choix d’associer un scénario « facile » et un graphisme délibérément rétro à une impression aussi moderne et coûteuse. Cet album aurait sans doute été plus cohérent avec un format et un rendu plus basiques et un tarif nettement inférieur à 10 €, comparable (en parité de pouvoir d’achat) aux Buck Danny vendus environ 9,00 F en 1970.
Franck Mée
48 pages, 24 × 32 cm, cartonné

© Éditions Dupuis

© Éditions Dupuis

© Éditions Dupuis