La longue carrière du Flamant nous a fait oublier un NC 700 Martinet très proche en dimensions et en performances, dont un nombre pourtant plus important furent construits dans l’immédiat après-guerre, un avion largement employé par l’armée de l’Air, l’Aéronavale, le CEV et quelques opérateurs civils. Cet ouvrage est donc le bienvenu, l’appareil n’ayant pas fait l’objet d’une étude sérieuse – semble-t-il – depuis le n° 34 du Trait d’Union en 1974.
L’avion trouve son origine dans le développement par le constructeur allemand Siebel d’un bimoteur de liaison Si 204A, dérivé de l’un des rares appareils de construction métallique étudiés par l’ingénieur Hanns Klemm*, bien connu pour ses petits monomoteurs de sport et d’entraînement. Ses ateliers étant déjà trop occupés à produire sous licence des avions de combat, Siebel transféra la production du bimoteur en Tchécoslovaquie, puis dans l’usine berrichonne de la Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Centre (SNCAC, usine héritée du constructeur Hanriot), dans le cadre du programme de participation de l’industrie aéronautique française à l’effort de guerre allemand, négocié en 1941 afin de maintenir en activité les usines de notre pays; l’esprit de collaboration affiché par le gouvernement de Vichy n’étant pas véritablement partagé dans ces ateliers, une centaine d’exemplaires seront laborieusement produits, suivis par une cinquantaine de Si 204D, version d’entraînement qui avait reçu un nez entièrement vitré à l’aspect caractéristique.
Autant pour rééquiper l’aviation française que pour relancer l’industrie aéronautique du pays, l’avion fit partie des programmes dont la production sera maintenu après la Libération, prenant alors sa dénomination « Martinet », dont plusieurs versions NC 700 à 702 verront le jour; une vingtaine de Si 204D prêt à être assemblés deviendront des NC 700 reconnaissables à leurs hélices bipales, qu’ils partageront toutefois avec les sept premiers exemplaires de la série suivante des 240 NC 701 – version « francisée » du Siebel dont la plupart seront motorisés par des Renault 12S (eux-mêmes dérivés des Argus d’origine de l’avion, et recevant des hélices tripales…). Enfin, un avion de liaison n’ayant pas véritablement l’emploi d’un nez vitré, une nouvelle version NC 702 retrouvera un nez proche (mais légèrement différent semble-t-il) de celui du Si 204A, dont près de 150 exemplaires seront produits en parallèle avec la version précédente.
Comme le laisse penser le titre de ce livre, ses auteurs se sont attachés à la carrière opérationnelle de l’avion en France, dans un travail extrêmement détaillé qui s’articule en quatre grandes parties:
– une histoire succincte de l’avion présentant les différents aménagements reçus par les trois versions NC 700, 701 et 702, ainsi qu’un rappel de ses différents exploitants, civils et militaires,
– un descriptif très détaillé de l’appareil, issu directement de la document technique de l’armée de l’Air, descriptif qui laissera cependant sur sa faim le lecteur qui aurait souhaité en connaître davantage sur les performances de l’appareil, un aspect qui aurait pu faire l’objet d’un comparatif avec les performances de deux autres bimoteurs de liaison d’une taille comparable et qui furent largement utilisés dans notre pays pendant la même période, à savoir le Flamant et le Beechcraft D-18/C-45.
– une série de notices présentant les très nombreuses unités ayant utilisé l’avion,
– la liste des appareils produits à Bourges, donnant le détail de la carrière de chaque appareil, liste à laquelle il faudra se reporter pour connaître la carrière précise des avions mentionnés dans les notices précédentes.
En marge de ces chapitres principaux, on notera également une iconographie très importante complétée par de nombreux profils réalisés par Patrice Gaubert, ainsi qu’une très intéressante histoire de la restauration du NC 702 n° 282 par une équipe du CIET de Francazal sous la direction de Pierre Cornu, l’un des auteurs du livre, avion aujourd’hui récupéré par le Conservatoire d’Aquitaine de l’Air et l’Espace Mérignac après de la fermeture de la base aérienne toulousaine. Cette belle restauration cache malheureusement le peu d’intérêt soulevé par cet avion dans notre pays lorsqu’il fut retiré du service, comme le montre la courte liste des appareils aujourd’hui préservés, dont un bon nombre furent exportés en Allemagne et en République Tchèque. Une mention particulière ira au n° 315 dont une très belle photo (p 47) a été prise à l’école de apprentis-mécaniciens du CEV installée après la guerre à Villebon sur Yvette, exemplaire qu’on retrouvera à la fin des années 1980 dans une série de beaux tableaux du Peintre de l’Air Christoff Debusschère, réalisés dans les anciens hangars de Mondésir peu avant leur démolition; l’avion est aujourd’hui en Allemagne où il serait question de le remettre en état de vol… Cette école de Villebon sur Yvette, parfois confondue avec l’école des apprentis d’Air France de Vilgénis, nous a également donné le Marauder du musée de l’Air et le seul Vautour A conservé, aujourd’hui présenté à Savigny les Beaune (un très beau site Internet est consacré à cette école, que n’importe quel moteur de recherche saura retrouver).
Le propre d’un ouvrage d’histoire est de générer de nouvelles questions, et elles ne manquent pas ici, en particulier en ce qui concerne les années de l’immédiate après-guerre, malgré l’importance du travail réalisé par les deux auteurs, qui semblent avoir préféré faire l’impasse sur les quelques Siebel récupérés sur des terrains allemands par l’armée de l’Air, évoqués par un article du Journal Les Ailes de janvier 1947 reproduit ici, impasse qu’il faut probablement attribuer à l’absence d’une documentation suffisamment solide.
La série des 21 NC 700 construits à partir de cellules entreposées à Bourges avant la Libération pose plusieurs questions, dont celle de l’identification du lieu de leur stockage, un bâtiment manifestement construit avant le 20e siècle – donc en dehors de l’aérodrome qui abrite les ateliers de la SNCAC, et que l’on retrouve à la page 38, semblant avoir été utilisé pour la production des avions, avant ou après la Libération, peut-être à la suite des bombardements alliés. L’identification du n° 1010 avec le Si 204 D n° 226 semble montrer qu’au moins une de ces cellules était peut-être un avion en cours de réparation et non une cellule neuve.
C’est l’ensemble des premiers mois de la remise en route de l’usine de Bourges qui laissent de nombreuses zones d’ombre, dans la mesure où seulement 14 avions seront pris en compte avant la fin de la guerre en 5/1945, bien que le dernier ait porté le n° 113, dont aucun des NC 700 issu des 21 cellules évoquées ci-dessus – le premier d’entre elles n’étant prise en compte qu’à la fin de 1945, alors qu’on aurait pu imaginer que le manque de matériaux en 1944-1945 en aurait accéléré la mise en service (une photo p 15 montre le fuselage du n° 1008, encore en attente d’assemblage final vers 1947, d’après l’avion d’Air Atlas visible en cours de montage au même moment).
Pour compliquer davantage le problème, on peut s’interroger sur le devenir des nombreuses cellules en plus ou moins bon état qui furent récupérées à la Libération dans les hangars de Bourges (photo p 240), ce qui aurait pu encourager les responsables de la société nationale à récupérer le plus grand nombre possible de ces éléments pour la série des NC 701, toujours dans l’optique d’une pénurie généralisée de matériaux aéronautiques.
Il est probable que la disparition d’un grand nombre d’archives rende difficile une réponse à toutes ces questions, mais souhaitons que les auteurs continuent à explorer le sujet à l’avenir; peut-être la publication de cet ouvrage encouragera de nouvelles recherches de la part de l’association très active des anciens de l’usine de Bourges.
En conclusion, ce gros ouvrage constitue une addition intéressante à l’histoire de l’aéronautique de notre pays depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, ouvrage dont il faut une fois encore saluer la remarquable iconographie.
Pierre-François Mary
Format : 30 x 21 cm, 444 pages, reliure cartonnée.
1,850 kg
(*) L’ouvrage s’ouvre sur un Hans Kleun dessinant un Ki 104, produit par une Flugzugbau Halle GmbH…, mais il s’agit bien ici de Hanns (avec deux « n ») Klemm, dont les appareils sont désignés par les lettres « Kl », dirigeant une Leichtflugzeugbau Klemm GmbH (« bau » pour construction); associé avec Friedrich Siebel, il forme en 1934 une filiale Klemm Flugzeugwerk Halle GmbH (« werk » pour atelier) pour prendre en charge une nouvelle usine à Halle, qui devient Siebel Flugzeugwerk Halle GmbH quand Siebel échange ses parts dans la société de Klemm contre le contrôle de l’usine.